Conférence donné au CELAT, Université du Québec à Chicoutimi, 2006

Invités: 
Richard Martel
Michael La Chance
Carol Dallaire
Francis O’Shaughnessy

 

L’Art actuel en Indonésie.
Par Francis O’SHAUGHNESSY

Le propos principal de ce texte n’est pas de retracer l’histoire de l’art action en Indonésie. Iwan WIJONO a déjà rédigé un texte comme tel en 2003 dans la revue Inter (numéro 83).  Me basant sur le texte de WIJONO et de multiples entretiens par des artistes Indonésiens en Indonésie, j’ai édifié un texte basé sur la performance entre les années 1980 à aujourd’hui. Faisant éloge d’un survol historique rapide, je présenterai l’événement Art for Aceh, des qualificatifs Indonésiens pour connoter le performatif, les diverses méthodes de diffusions et transmissions depuis 1989, des organismes qui promus la performance et autres.

   

Événement Art for Aceh à Yogyakarta

Le 26 janvier 2005, un événement nommé Art for Aceh prit place à Yogyakarta pour commémorer les victimes du tsunami. Deux cents artistes influents d’Indonésie firent don d’une œuvre de leur production artistique annuelle pour venir en aide aux victimes de Aceh (ville touchée par le tsunami sur l’île du Sumatra). Des œuvres picturales et sculpturales ornaient les murs et l’espace du musée d’art contemporain Taman Budaya Yogyakarta. L’objectif de cette exposition, était d’amasser des fonds monétaires grâce à la vente publique des œuvres d’art.

À la cérémonie d’inauguration, de nombreux discours furent prononcés. Or, ce qui fut implicitement le plus intéressant fut l’exécution de deux rituels traditionnels du Sumatra. D’abord, la danse du Sumatra Barat fut opérée par quatre jeunes femmes. Maniérant des gestes poétiques et sensibles, elles dansaient sur une musique instrumentale traditionnelle envoûtante. Ensuite, pour contraster toutes gesticulations de la première prestation, neuf jeunes hommes mirent en transe une danse intitulée Aceh–Saman. Ritualisé par des états polysémiques, ils accomplirent une performance chorégraphique sonore vocale et corporelle électrisante. Ces deux prestations étaient attendues du public puisque ces types de rituels ne sont qu’exécutés que dans des contextes particuliers.

 

Qualificatifs Indonésiens pour connoter le performatif

Comme le mentionne WIJONO dans son texte art action en Indonésie, les premières interventions performatives prirent vie dans les années 1960 par des révoltes étudiantes revendiquant leurs mécontentements face à la conscience sociale et aux décisions politiques. Ces révoltes donnèrent émergence à de nouveaux médiums d’expression. À cette époque le terme performance ou art performance  n’était spécifié que par « art expérimental », c’est-à-dire toutes formes d’expressions artistiques non-traditionnelles. Toutefois, le langage Indonésien caractérisait le terme performance sous trois appellations : Jeprut, Perengkel Janequi et Blah Blah War. Jeprut est l’exécution d’un geste inhabituel qui va à l’encontre des pensées courantes. Un geste où le protagoniste introduit une part de rupture dans la continuité. Perengkel Janequi est définit comme un mouvement contorsionné ou tordu. Un geste se ramifiant sous une forme arborescente. Blah Blah War est une poésie action qui s’oppose à la guerre. Une revendication vocale ou corporelle directe qui proteste toutes actions envisageant un combat armé. Depuis le début des années 2000, suite à l’événement JIPAF (Jakarta International Performance Art Festival), le terme art performance fut adopté par les Indonésiens.

Expansion d’activités performatives

Les manifestations pantonin, connotées dans le jargon Indonésien -happening de rue, a connu un essoufflement au cours des années 1980. ARAHMAIANI, Jemek SUPARDI et Yoyo YOGASMANA, interventionnistes de rue et performeurs influents de l’Indonésie, furent les seuls artistes de cette décennie à soutenir l’art performance.

À Bandung, les activités performatives reprirent dès 1989. Yoyo YOGASMANA  organisa des événements hebdomadaires Blah Blah War durant quatre années consécutives. Artistes locaux principalement, les performeurs provenaient de divers champs de savoir : du politique, de la musique, de la danse, de l’agriculture, de la littérature, etc. Depuis 2003, YOGASMANA, invite périodiquement des performeurs internationales à Bandung par l’entremise de B+PAC ( Bandung Performance Art Community). B+PAC[1] est un organisme qui promu et développe l’art performance à Bandung par le festival BaPAF (Bandung Performance Art Festival), des rencontres et discussion sur l’art action. Depuis dix ans, les investigations de YOGASMANA aidés d’étudiants universitaires dans le domaine performatif ont portées fruit. Selon un sondage de B+PAC en 2003, il y aurait plus de 215 performeurs actifs dans la ville de Bandung. Il est fort possible que Bandung soit implicitement la plus importante ville d’art performance du monde. Bien que la performance soit très populaire à Bandung, aucune université n’enseigne cette forme d’expression. Pourtant la plupart des activités performatives s’exécutent sur le Campus IKIP/(UPI) (Universitas Pendidikan Indonesia) à Bandung.

En 1998, les seuls performeurs actifs à Yogyakarta étaient ARAHMAIANI et Iwan WIJONO. Suite à quelques soirées interactives, WIJONO s’associa à d’autres artistes-performeurs (étudiants et professionnels) pour élever en 2002 l’organisme PerformanceKlub[2]. Depuis 2003, PerformanceKlub coordonne –Web Action, un événement performatif qui s’active les trois premiers mercredi du mois. Déployé dans des lieux alternatifs, au Kedai Kedun (Centre des arts alternatifs) et au Parkir Space (Restaurant-Bar), PerformanceKlub soutient l’art action, la vidéo performance, et d’autres activités hybrides. PerformanceKlub invite plusieurs performeurs émergents et praticiens expérimentés nationales et internationales afin de présenter différentes approches culturelles de l’art action. Le seul centre de documentation d’art contemporain qui soutient les activités et les événements de PerformanceKlub est le centre Cemeti art foudation. Plusieurs archives cataloguées ainsi que des DVD sur le performatif sont disponibles sur place.

L’art performance en Indonésie

Depuis 1997, plusieurs performances asiatiques ont été présentées à Québec, à Chicoutimi, à Joliette, à Gramby, à Trois-Rivières, à Toronto et aux rencontres internationales d’art performance de Québec des dernières années. Des performances qui deviennent intrigantes et déstabilisantes parfois parce qu’elles sont exécutées dans un contexte non-asiatique. Or, en terrain asiatique, les mêmes performances sont perçues différemment parce qu’elles baignent dans réseau de significations contextualisés et asiatiques.

En Indonésie, la plupart des performances que j’ai vu sont lourdes parce qu’elles sont très physiques et sont liées à des messages revendicateurs. Les performeurs présentent au public des actions phamopéia (poésie par la (re)présentation d’image) où l’art est rarement le sujet de l’œuvre mais un moyen pour véhiculer une information. Aussi, les performeurs densifie leurs actions en ponctuant leurs gestes dans un état d’agressivité et de violence. Ils brutalisent leur corps, par l’intermédiaire d’objet multiples et primitifs.

À titre d’exemple, en janvier 2005, dans l’événement Art for Aceh, au Parkir Space à Yogyakata, GIMBAL et ALLETA de Solo ont exécutés une action extrême en collectif. Tous les deux, vêtus d’un cache-sex bricolé, se caressaient mutuellement les organes génitaux. Accroupi au sol,  ils adoptaient plusieurs positionnements théâtraux laçant au public un sentiment de commisération. Pendant ce temps, trois fusils à plomb chargés circulaient librement dans la foule. Balançant tous les projectiles sur les deux protagonistes, aussi absurde qu’il soit, le public avait un plaisir à faire souffrir les deux victimes. Réagissant violemment à chaque tire, GIMBAL et ALLETA se conditionnaient à rester dans un état d’indifférence. Une performance où l’interactivité insiste le spectateur à agir avec violence. Je ne suis pas convaincu que notre société (nord-américaine) participerait à ce type d’intervention parce que nos mœurs ne sont pas en faveur de la violence. Cette action démontre que la communauté indonésienne tolère un taux de violence plus élevé qu’en occident. 

La performance Indonésienne se singularise selon la géographie du territoire. À Yogyakarta, les actions s’édifiées dans un champ primitif d’intervention. L’écriture corporelle que concrétisent les artistes devant un public est fortement inspirée des rituels aborigènes indonésiens. Rappelons qu’il y a pas moins de 366 dialectes pratiqués par les tribus aborigènes et cela à travers les 17000 îles indonésiennes. Contrairement à Yogyakarta, les jeunes performeurs de Bandung manœuvrent avec une matérialité du quotidien. Ils opèrent souvent des actions solos à l’intérieur de collectif de trois à quatre personnes. Ils revendiquent des messages pour la plupart politiques à travers la représentation de tâches quotidiennes de la classe ouvrière. 

Ce qui ressort de ces prestations, c’est la riche présence que dégagent les performeurs. En Asie, l’énergie humaine comme source de communication à l’audience se manifeste par une présence objectale et attitudinale. La présence qui enveloppe les objets s’extériorise et se dynamise par une connexion corporelle. À un moment, l’objet dictera les mouvements du performeurs alors qu’à un autre moment c’est le performeur qui contrôlera l’objet. Yoyo YOGASMANA est un performeur qui exploite ce type d’intervention. En mars 2003, à Nagano au Japon, il exécuta une performance très physique et douloureuse dans le festival Crisis.  Attaché par de solides cordes à la tête, au cou, aux bras, aux jambes et au thorax, YOGASMANA demanda la collaboration du public réunit autour de lui afin de réaliser son action. Maintenu en équilibre par les spectateurs grâce à ces cordes, le performeur basculait constamment son corps vers le sol sans jamais l’atteindre. Suite à plusieurs bascules et tiraillements de tous les côtés par les spectateurs, le corps du performeur se retrouve tendu dans les airs n’ayant aucun contact physique avec le sol. Suite à ce type d’action, YOYOGASMANA a plusieurs stigmates performatif et s’est rendu à maintes reprises à l’hôpital.

La performance indonésienne, est captivante à plusieurs niveaux et est très différente des performances occidentales. L’Indonésie est un pays pauvre en voit de développement. Il n’y a aucun Conseil des Arts et très peu de commanditaires[3] supportent les artistes de ce pays. Donc, il y a très peu d’artistes/performeurs qui rayonnent sur la scène internationale. C’est dommage car ces artistes ont beaucoup à donner à la communauté performative mondiale. Comme l’a déjà dit Seiji Shimoda un jour, il ne faut pas oublier les artistes asiatiques qui expérimentent la performance. Parce que si on les oubli on perd plusieurs choses importantes comme des idées, des philosophies et des cultures différentes. « Nous avons besoin de la « différence » pour que la société s’ouvre »[4] et la différence n’est-ce pas ce qui rend la vie plus intéressante ?

 

[1] B+PAC ( Bandung + Performance Art Community). Jl. Sentosa no 91B KPAD Gegerkalong. Bandung 40153.

[2] PerformanceKlub est constitué de Iwan WIJONO, Nowmi SRIKANDI, ERY, Buyung MENTARI, OZY et Ronald APRIYAN.

[3] Pour financer le Catalogue « The 2nd IAPAO meeting /Bandung 25-27 April 2004 », B+PAC a réussit à convaincre le restaurant McDonal’s, la compagnie Pepsi ainsi que d’autres commanditaires à subventionner des activités artistiques performatives. Selon moi, c’est probablement dans le seul le pays que McDonal’s  et Pepsi commanditent de l’art dans le volet art performance.

[4] Shimoda, Seiji, 2001. Art Action 1958-1998, Éditions Inter, La performance au Japon 1978-1998, p. 225.